Elisabeth Duplay (1772-1859)

Elisabeth Duplay  épouse de Philippe Le Bas

Elisabeth Le Bas, née Duplay

Elisabeth tout comme sa sœur Eléonore, est une égérie de la Révolution française, célèbre non pour son rôle tenu pendant la Révolution française, mais par sa proximité avec Maximilien Robespierre, hébergé par son père le menuisier Maurice Duplay, trois années durant.
Du fait de sa longévité, Elisabeth Le Bas née Duplay (1772-1859), sera un témoin oral exceptionnel, et recherché, par les historiens de la Révolution française, au milieu du XIX siècle, tel que Jules Michelet, Louis Blanc, Alphonse Esquiros ou encore le poète Alphonse de Lamartine. Ces historiens en retour nous renseignent sur Elisabeth, en narrant leur rencontre. Nous sommes évidemment bien informés par son fils Philippe Le Bas, et la correspondance de dernier, entretenue lors de ses différents voyages. De nombreuses archives la concernant directement comme dans la série W 79 (thermidor), et indirectement comme les dossiers carrière au ministère de l’intérieur concernant son second mari Charles Le Bas, nous livrent quantité d’informations. De la même manière que sa sœur, les différents actes notariés impliquant la famille Duplay nous renseignent sur des détails familiaux. Enfin Paul Coutant, alias Stéfane-Pol, le gendre de Léon Le Bas, le petit fils d’Elisabeth, conserve les archives familiales et bénéficie des souvenirs de son beau-père (lequel aura vécu de longues années aux côtés de sa grand-mère). Il nous fournit ainsi de nombreuses informations à travers ses livres et ses articles, à défaut d’avoir déposé aux archives les précieux documents en sa possession.

Articles concernants Elisabeth Le Bas née Duplay

 

Elisabeth Le Bas née Duplay vivra jusqu’à 86 ans, de sa vie nous pouvons dégager cinq périodes :

Vidéo concernant Elisabeth Le Bas née Duplay

 

Cette conférence du 6 avril 2024 est grand moment pour notre association. Michel Biard présentait en avant première son nouvel ouvrage : femme de révolutionnaire consacré à Elisabeth Duplay veuve Le Bas.

  La rencontre d’Elisabeth Duplay et Philippe le Bas

Cette rencontre, souvent évoquée dans la littérature, s’appuie sur ce fameux manuscrit de Mme Le Bas. Elle le rédigea à la demande insistante de son fils à l’époque de son voyage en Grèce et en Asie Mineure en 1843-1844. Ce manuscrit a été exploité comme une source primordiale du vivant de Mme le Bas par Michelet, Lamartine, Esquiros, et Louis Blanc.

Dans ce manuscrit Élisabeth fixe sa rencontre avec le Conventionnel, le 24 avril 1793, à la Convention même, où elle s’était rendue en compagnie de Charlotte Robespierre « Ce fut le jour où Marat fut porté en triomphe que je vis mon bien-aimé Philippe Le Bas pour la première fois »[1], plusieurs rencontres sont évoquées par Elisabeth, puis intervient une interruption de ses rencontres, pour cause d’absence prolongé de Philippe pour cause de maladie.

Élisabeth conte ensuite la demande en mariage de Philippe, en premier lieu à sa mère, l’hésitation de cette dernière, puis l’intervention de Maximilien auprès des parents à la demande de Maurice, qu’Elisabeth écoute à travers une cloison ;

« Mon père parut content ; mais ma mère tenait toujours à marier mes sœurs avant moi. Enfin, j’entendis mon père appeler notre bien bon ami : il était si bon que nous l’aimions plus qu’un frère. Mon père lui fit part du sujet de la conversation et lui dit : « Mon ami, c’est notre Élisabeth, notre étourdie, que M. Le Bas nous demande en mariage » Il lui répondit « Je vous en félicite, répondit-il, tant mieux. Élisabeth sera heureuse ; mon cher ami ne balancez pas un instant : Le Bas est le plus digne des hommes, sous tous les rapports ; il est bon fils, bon ami, bon citoyen, homme de talent ; c’est un avocat distingué ». Ce bon Maximilien paraissait heureux de me voir demandée en mariage par son compatriote, et insistait pour nous auprès de mes parents, il ajouta : « Cette union fera, je crois, le bonheur d’Élisabeth. »[2]

Quelque temps après, Armand-Benoît-Joseph Guffroy, député du Pas-de-Calais, tentera de saper ce projet de mariage en tenant des propos calomnieux sur Elisabeth à Philippe. Lequel lui rétorque : « Guffroy, vous me voulez trop de bien, je vous remercie du mal que vous m’avez dit de Mlle Duplay, mais je ne veux être le père que mes œuvres. Au moment où le mariage était programmé, Le Bas est envoyé en mission par le Comité de Salut Public ; il y est accompagné par son cousin Duquesnoy, et dans son manuscrit Elisabeth écrit : « Je pus m’empêcher de dire à Robespierre qu’il nous faisait du mal. » lequel lui répond :

« Ma bonne Élisabeth, la patrie avant tout lorsqu’elle est en danger ; ce départ est indispensable mon amie ; il faut du courage ; il reviendra bientôt ; sa présence est nécessaire où on l’envoie. Vous serez bien plus heureuse, vous, si patriote, de le voir revenir après qu’il aura rendu un si grand service à son pays ». [3]

 Le Mariage d’Elisabeth Duplay et de Philippe Le Bas

C’est au retour de mission de Philippe que le mariage a lieu, le 26 Aout 1793.

Mais très vite au grand désespoir d’Elisabeth, Philippe doit repartir en mission, et le romantisme est à son comble quand cette dernière accompagne, enceinte de quelques mois, son mari et Saint-Just dans leurs missions aux armées, sur le front de l’Est. La toute jeune sœur du Conventionnel, Henriette Le Bas, âgée de 18 ans, est également du voyage, et deviendra même la fiancée éphémère d’Antoine De Saint-Just. Élisabeth et Henriette séjourneront alors à Saverne, tout près du front. Cet épisode est abondamment évoqué par Élisabeth dans ses mémoires.

 

[1] Autour de Robespierre…, op. cit., p. 102.

[2] Ibid., p. 117-118.

[3]  Ibid., p. 127.

 

Après thermidor

Puis surgit thermidor, et l’acte héroïque de son époux, le Conventionnel, Philippe Le Bas qui se brûle la cervelle pour éviter la guillotine, la plongeant dans une détresse incommensurable, emprisonnée quelques mois avec son fils d’à peine six semaine, puis l’élevant seule, complétement démunie, son père encore emprisonnée, obligée de se nourrir en se faisant lessiveuse sur les bateaux lavoirs de la Seine. « Oui j’ai préféré aller savonner au bateau, plutôt que demander des secours aux assassins de nos pauvres amis »[1]

Les choses s’arrangent certainement pour elle quelque peu, lorsque l’ensemble de la famille Duplay retrouve la liberté. Très vite cette famille et quelques amis proches dont le serrurier Jean-Baptiste Didier se réunissent pour désigner un tuteur au jeune Philippe alors âgé d’un an et demi, nous sommes le 23 novembre 1795. C’est Augustin Darthé qui est alors choisi pour être tuteur de Philippe. Mais cette accalmie sera de courte durée, car intervient la Conjurations des Egaux, dans laquelle Darthé tiendra un rôle de tout premier plan et sera avec Babeuf le seul condamné à mort. Maurice Duplay et son fils Jacques, le frère d’Elisabeth seront également emprisonnés près d’un an mais relâchés au jugement de mai 97.

Elisabeth Duplay auprès de son second époux Charles Le Bas pendant 32 ans.

Quelque temps après, Elisabeth Duplay fera la rencontre de Charles Le Bas, un des jeunes frères de Philippe, Elisabeth et Charles ont le même âge, tous deux nés en 1772. Comme elle, il est particulièrement démuni côté financier, il était sergent au troisième bataillon de Guadeloupe où il résidait depuis 1790 lorsqu’il est atteint par un projectile anglais, lui faisant perdre une partie de l’usage du bras gauche. Un temps captif des Anglais, il est débarqué à Fécamp le 8 novembre 1795. Il y reçoit l’ordre de se retirer à Frévent, il fait le trajet à pied, dans le froid. Le 30 janvier 1796, il apparait dans l’acte de décès de son père Ange Bas.
Sans ressources, il séjourne un temps à Amiens chez sa sœur, Florence l’épouse du drapier Antoine Mimérel. Il fait de nombreux allé retour à Paris, pour obtenir une pension et des papiers afin de pouvoir retourner en Guadeloupe, c’est peut-être à l’occasion de ses démarches répétées dans les services du ministère de la Police qu’il obtient le 25 janvier 1798, un poste de simple employé à ce Ministère. Un an à peine plus tard le 9 janvier 1799, Charles Le Bas épouse Elisabeth. De ce mariage naitra une fille en 1800 à Paris, Charlotte Elisabeth (1800-1863), dite Caroline, puis Charles (1810-1871). La situation financière du couple ne sera assurée qu’à partir de 1808 lorsque Charles Le Bas accède à la fonction de commissaire général de Police de Lorient. La famille Le Bas n’est de retour à Paris qu’en 1814, Charles continue de progresser dans la hiérarchie du ministère de la Police puis de l’Intérieur pour devenir chef de bureau au ministère de l’Intérieur de 1819 à 1822, date où il fait valoir ses droits à la retraite.  Il décède le 2 septembre 1830.

Elisabeth Duplay auprès de son fils Philippe Le Bas pendant plus de 20 ans.

De 1830 jusqu’au début de la décennie 1850, elle vie aux côtés de son fils Philippe, au 30 rue de Condé, son adresse officielle telle qu’elle apparait dans l’inventaire après décès de son frère Jacques en 1847. Durant toutes ses années, elle partagera la vie de son fils, une relation très forte s’installe entre les deux êtres. Elle gardera les deux enfants de Philippe, Léon et Charlotte Elisabeth Grujon, pendant son long voyage de deux années en Grèce et Asie Mineure, elle fera également pendant cette période le lien avec les collègues de son fils. Les lettres qu’envoie Philippe à sa mère pendant cette période sont parfois technique et riches en description et en détails sur les sites visités, ce qui atteste que Philippe s’adressait à une lectrice avertie et cultivée. Sa mère, sa confidente au sujet de ses affaires et de ses recherches. Ils reçoivent beaucoup dans ce grand appartement de la Rue de Condé. Plusieurs témoignages l’attestent, ainsi celui de Jules Simon, dans lequel il évoque un repas Républicain au domicile de Philippe Le Bas et d’Elisabeth, où l’invitée d’honneur n’était autre que Charlotte Robespierre. Cet évènement est d’ailleurs significatif de la différence de perception et d’appréciation de Charlotte Robespierre par les deux sœurs Duplay. La détestation qui existait entre Eléonore Duplay et Charlotte Robespierre, avait tenu à l’écart cette dernière de la famille le Bas. Mais en cette année 1833, Eléonore venait de décéder, et comme l’indique Jules Simon Charlotte Robespierre avait peut-être voulu revoir une dernière fois celle qui aurait pu être sa belle-sœur, et connaître le fils de celui qui avait été le plus fidèle amis de son frère Maximilien. Philippe avait pris l’habitude d’inviter à son domicile certains de ses élèves, lesquels deviennent des familiers de sa mère, on peut citer  Jules Bonnet (l’historien du protestantisme), que Philippe qualifie pour sa mère de second fils. C’est donc une relation quasi-fusionnelle qui s’est installée entre Elisabeth et son fils pendant ces deux décennies, cette relation exceptionnelle fut rappelée, à ses obsèques, par Xavier de  Xivrey, président de l’Académie des belles-lettres :

Ce que M. Le Bas recueillit d’honneur, de succès, de réputations, il le rapportera, toujours aux soins tendres et dévoués d’une mère, dont il se plaisait à louer les qualités supérieures et à laquelle il n’aura survécu que d’un an, ayant eu la consolation de la conserver jusqu’à un âge très avancé[2]. Madame Le Bas, devenue veuve le 10 thermidor 1794, lorsque son fils était encore à la mamelle, se maintint dès lors dans une retraite où elle garda intactes toutes ses impressions, toutes ses sympathies de cette époque ; et ce sentiment, elle le fit partager entièrement à son fils, au point que d’omettre ici un trait si caractéristique, ce serait exclure de ce souvenir de notre confrère ce qui tint, nous le savons tous, une si grande place dans sa vie.Quelles que soient d’ailleurs les opinions, on peut, on doit même, payer un tribut d’hommage sincère à cette conviction profonde, ainsi qu’à la source, assurément très respectable, où la piété filiale de M. Le Bas puisa l’inspiration de ce sentiment[3].

De nombreux témoignages sur Elisabeth Le Bas existent, nous n’en citerons ici qu’un seul, celui du peintre Degas relaté par Paul  Valery :

Le vingt-huit juillet 1904, Degas me raconte ce souvenir : il avait quatre ou cinq ans. Sa mère un jour le conduisit avec elle faire visite à Madame Le Bas, veuve du célèbre Conventionnel, ami de Robespierre, qui se tua d’un coup de pistolet le neuf thermidor. Le fils de Madame Le Bas, Philippe, était un éminent érudit. Il avait été précepteur des oncles de Degas. Cette vieille dame habitait rue de Tournon. Degas se souvenait du rouge des carreaux cirés qui pavaient l’appartement. La visite achevée, comme Madame Degas, tenant son fils par la main, se retirait, raccompagnée jusqu’à la porte par Madame Le Bas, elle aperçut sur les murs du couloir d’entrée les portraits de Robespierre, de Saint-Just, de Couthon…

– Comment, s’écria-t-elle, vous conservez toujours les têtes de ces monstres (…) !

– Tais-toi, Célestine, c’étaient des Saints[4] !

 

Les dernière années d’Elisabeth Duplay  aux côtés de sa fille Caroline à Rouen.

Ensuite au début des années 1850, Philippe ayant perdu l’usage de son grand appartement parisien, Elisabeth se résout à quitter Paris pour se rendre auprès de sa fille à Rouen. Elle y finira sa vie. Sa fille Caroline s’était mariée avec le propriétaire de l’hôtel du Nord, Henri Vautrin, la mort précoce de celui-ci en octobre 1828 (il n’était âgé que de 31 ans), fera de Caroline à vingt-huit ans l’unique propriétaire et gérante de cet établissement renommé en plein cœur de Rouen, en l’actuel rue du Gros Horloge, jouxtant le célèbre monument. Elisabeth était quant à elle, domicilié 13 rue Sénécaux, une petite rue aujourd’hui disparue située à quelques encablures. On sait que Caroline aura eu au moins un enfant Charles Vautrin, car il figure dans le testament de son grand-oncle Jacques Duplay en 1847.

 

L’hôtel du Nord à Rouen

Le grand Hôtel du Nord d’Henri  Vautrain et de Charlotte Elisabeth Le Bas, tel que l’on peut l’apercevoir aujourd’hui, (ci-dessus) et après  le décès de cette dernière par cette  affiche d’Edeline, datant  selon les AD de la Seine-Maritime de la seconde partie du XIXème siècle. On peut raisonablement penser que cette affiche a été comandité par les acquéreurs de l’établissement auprès des héritiers de Charlotte Elisabeth Vautrin ( Le Bas), suite  à son décès intervenu en 1863.

Hôtel du Nord à Rouen vers 1865, auteur Adeline
Situation de l'Hôtel du Nord et rue Sénécaux

La rue Sénécaux, dernier domicile connu d’Elisabeth Duplay à Rouen, adresse spécifiée sur son acte de décès, et dans les Almanach de la ville de Rouen à compté de 1853, est bien distincte de la Rue Gros Horloge, nommée grande Rue en 1853. Cette rue Sénécaux, n’existe plus aujourd’hui, elle a disparue dans les années 1860, suite au percement de la rue Jeanne d’Arc. Le domicile d’Elisabeth Duplay n’est donc pas l’Hôtel du Nord, comme il est souvent indiqué. Mais ce domicile était toutefois proche de l’hôtel du Nord, quelques centaines de mètres.  Cet hôtel,  comme le précise l’affiche ci-contre, était l’hôtel « Le plus vaste et le plus central« , de la ville de Rouen.

Mort et postérité.

Le fils cadet d’Elisabeth, Charles Le Bas obtiendra grâce à son frère, un poste de sous-bibliothécaire à la Sorbonne. A sa mort, quelques années après celle de son épouse, en janvier 1871, il laisse cinq orphelins :

Charles Auguste Philippe Maximilien âgé de 19 ans ; Emile Clément 16 ans ; Léon Aimé âgé de 14 ans ; Aimée Elisa âgé de 8 ans ; Elisabeth Zélie âgé de 6 ans. Chacun recevra une pension de quatre-vingts francs annuel, somme au demeurant absolument dérisoire.

Elisabeth, est inhumée en une sépulture de la 34 ème division du cimetière du Père-Lachaise, relativement proche de la sépulture de la famille Duplay. C’est Elisabeth Duplay  qui en fit l’acquisition en 1830 pour inhumé son second mari Charles Le Bas, d’où la gravure «FAMILLE LE BAS DU NORD », faisant référence au surnom de Charles, Le Bas du Nord, donné par sa hiérarchie au Ministère de la Police pour le distinguer d’un autre commissaire officiant dans le Sud de la France  « Le Bas du Sud ». L’emplacement précis de la sépulture fut choisi par Elisabeth pour être à la fois proche de la tombe de la famille Duplay, et être contiguë de celle de son gendre Henri Vautrin, où serait plus tard inhumée sa fille Caroline. En la sépulture d’Elisabeth, est inhumé également une autre famille, une famille amie et cousine, les Prévost : les descendants de Jean-Baptiste Prévost-Lebas, le curé de Frévent et beau-frère du Conventionnel. Mais c’est une toute autre histoire que nous exposerons dans autre article. Cette tombe c’est aussi par procuration, celle du Conventionnel, apparaissant sur une plaque commémorative aux côtés d’Elisabeth, cette plaque fut probablement posée au moment de la dernière restauration de la tombe par les descendants de la famille Le Bas.

 

 

Tombe Le Bas Du Nord au Père Lachaise

Photo prise en novembre 2020

 

 

[1] Manuscrit d’Elisabeth Le Bas née Duplay.

[2] Discours de M. Berger de Xivrey aux funérailles de M. Philippe Le Bas, Paris, Institut impérial de France.

[3] Berger de Xivrey, Funérailles de M. Philippe Le Bas, Paris, impr. de Firmin-Didot frères, fils et Cie, 1860, p. 3.

[4] Paul Valéry, Degas, Danse, Dessin, Paris, Amboise Vollard, 1836.