Présentation du texte de Stéfane-Pol

Ce texte ci-dessous est de  Stefane-Pol, allias  Paul Coutant (1865-1835),  le gendre de Léon Le Bas, lui même fils de Philippe Le Bas ( 1794-1860) et petit-fils du Conventionnel.

Ce texte fut publié dans la Grande Revue n° 23  du 10 décembre 1910.

La reproduction ci contre est celle d’un nouveau né quelconque de la fin du XVIII, et non de Philippe Le Bas en particulier.

Texte de Stéfane-Pol

AU TEMPS DE THERMIDOR – NAISSANCE DU FILS DU CONVENTIONNEL
LE BAS.

29 prairial an II.

Nous sommes au 29 prairial an II. La Terreur est à son paroxysme.
Après s’être répandu place de la Révolution, place de Grève et au Carrousel, le sang des victimes empourpre les pavés de la place Saint-Antoine et ceux de la Barrière renversée.
Dans le formidable creuset où la Révolution fond les dévouements exaltés et les insanités monstrueuses, les grands· enthousiasmes et les pires félonies, des épaves submergent, choses inertes qui ont été des hommes. Et beaucoup des survivants, contemplant ces épaves n’ont pas dans la gorge assez de sanglots, dans le cœur, assez de haine, pour maudire et se lamenter. D’autres pourtant, en plus grand nombre, croient, de toute leur sincérité, que cette rosée sanglante sera féconde aux printemps à venir; leur foi dans la régénération de la Patrie ne s’attriste point de ces sacrifices nécessaires; ils crient leur confiance en l’être qui pensent-ils est le seul à les exiger, parce qu’il est, pour eux, le génie de la Révolution, le Messie rénovateur et incorruptible …

Robespierre

Et Robespierre, honni par les uns, acclamé par les autres, Robespierre-démon, Robespierre-dieu, passe dans l’apothéose de sa formidable renommée – lourd de ces fardeaux jumeaux qui pèsent sur les chefs : l’imagination et l’exagération populaires.
Où se dirige-t-il, en ce matin de prairial ? Paris se réveille à peine sous les clartés hâtives de juin ; la Convention ne siègera pas avant trois heures ; les Jacobins sont fermés jusqu’au soir ; et le Comité de Salut public ne l’attire plus, depuis que ses collègues ont renoncé à suivre ses suggestions-. D’ailleurs il marche avec plus de hâte que de coutume ; son sourire, dont il est si avare, accuse un large pli au coin des lèvres sévères, et ce n’est ni le souvenir d’un triomphe récent, ni la vue d’un de ses discours affichés sur les murs qui le rend aussi joyeux.
Il se dirige vers la rue du Luxembourg, section des Piques.

La famille Duplay réunie

Une maison de modeste apparence ; un étage à monter ; il frappe à la porte qui s’ouvre aussitôt :
– Tout s’est bien passé ?
A l’entendre interroger ainsi à voix basse, on pourrait croire à quelque ténébreuse entrevue. Dans la salle à manger qui sert d’antichambre, tous les Duplay sont accourus, ainsi qu’Henriette et les deux frères Le Bas ; on devise autour de la table, et, de temps en temps, étouffant ses pas et entrouvrant doucement une porte, la fille aînée du maître-menuisier regarde dans la pièce voisine :
– Elle repose encore ! Ne troublons pas son sommeil.
Mais un vagissement vient de se faire entendre ; l’accouchée a tressailli ; elle se réveille, anéantie mais si heureuse Tous se précipitent près d’elle, et Robespierre n’est pas le dernier à féliciter Elisabeth Duplay, la fille de son hôte si cher, la femme de son fidèle ami Le Bas.
Le nouveau-né est là, dans un berceau modeste ; chacun l’admire ;
Nuls des assistants ne peut prévoir que cette vie à peine éclose va être bientôt condamnée à l’odieuse atmosphère des cachots : l’enfant, coupable d’avoir un père ami de l’Incorruptible d’hier, de l’Infâme d’aujourd’hui, sera emprisonné, à l’âge d’un mois et demi, par les brutes thermidoriennes.

Une famille dans la joie

En attendant, la famille est dans la joie ; Maximilien n’est pas le moins heureux ; c’est lui qui, le lendemain, interroge les parents : – Avez-vous fait part de la nouvelle au grand-papa… là-bas. au pays ? Il va être si content, lui aussi. Les autres se regardent : ils ont oublié le vieux directeur des postes de Frévent ; et le conventionnel Le Bas, tout honteux, griffonne rapidement quelques mots à son père. Dire la satisfaction du vieillard serait superflu ; sa félicité est si parfaite qu’il ne pourra supporter, le. lendemain du 10 thermidor, l’épouvantable catastrophe. Aussi les thermidoriens l’enfermeront-ils dans la citadelle de Doullens, pour le punir d’avoir perdu la raison, tandis qu’ils feront assassiner Mme Duplay (une autre aïeule de l’enfant) dans la prison de Sainte Pélagie, où elle aura été, par leurs soins, enfermée avec des filles de joie …
Ce sont ces mêmes gens qui, le drame consommé, intervertiront les faits, falsifieront les documents, pour mieux vouer au mépris public Robespierre et ses amis.