Qui est Carrier ?

Avant d’aborder la lettre de Jean-Baptiste Milhaud Représentant du département du Cantal à la Convention à son ami et collègue Jean-Baptiste Carrier lui aussi Représentant du département du Cantal à la Convention : qui est Carrier ? Nous le savons tous ! Du moins, croît-on le savoir et le sera-t-on un jour ?
Au yeux du public d’hier et d’aujourd’hui, il apparaît comme « un monstre ». Il participe à la légende noire de la Révolution, pourtant, il semblerait être plus un bouc  émissaire. Figure symbolique de la terreur en province, Carrier n’est-il pas autre chose ?
Les noyades ou massacre systématiques mis à la charge de Carrier sont loin d’être prouvés (1) . Carrier , n’est certainement pas le seul responsable, même si il avait en théorie tout les pouvoirs en tant que Représentant en mission.
« Carrier a peut-être été du moins pour une part victime de son intempérance verbale et de son imagination surchauffée. Il a commis l’erreur grave d’accuser en bloc les Nantais d’aristocratisme ou de trahison…ne pouvait que lui aliéner toute la population et le faire passer pour un énergumène dangereux. »
Son erreur suprême est son attitude brutale et arrogante « envers Julien fils…dont il n’a pas soupçonné le poids politique. Carrier se met directement à dos Robespierre (2) » Se qui fera de Carrier un des partisans voir un acteur du coup d’Etat du 9 thermidor, qui provoque la chute de Robespierre.
« Carrier a peut-être été mal entouré : les intrigants sont le fléau des représentants du peuple. Carrier a eu des formes dures. Il a employé des moyens qui ne font pas aimer l’autorité nationale » tels sont les termes d’une lettre envoyée au nom du Comité de Salut public à Prieur de la Marne, le 8 février 1794, par Billaud-Varennes et Collot d’Herbois (3) . Carrier est un Jacobin fort énergique, ses collèges le savent très bien, notamment son ami Jean-Baptiste Milhaud qui le souligne dans sa lettre du 28 mars 1794. Que nous dit celle-ci ?

La lettre de Mihaud

« Voila un siècle, mon cher montagnard, que nous n’avons pas parlé ensemble :
cela n’empêche pas que notre amitié ne soit éternelle, comme notre amour pour la République. J’ai lu avec l’intérêt d’un frère le grand bien que tu as fait dans ta
mission près des armées de la Vendée. J’ai aussi taché de faire mon devoir aux Ardennes et au Rhin, et aux Pyrénées ; et notre ami Lacoste(4) a complété la trinité
révolutionnaire du Cantal. Notre collègue Mirande fera le quatrième. Il est dommage qu’il n’ait pas été des nôtres des le commencement de la Convention (5).
Nous avons reçu ce matin une lettre du Comité de Salut public avec une note de ta main sur Fortet (6) : il n’est pas possible, mon ami, de faire guillotiner ce contre-révolutionnaire, parce qu’il n’a pas deux têtes. Montréal, chef de brigade de dragons, n’en avait aussi qu’un, il l’a aussi perdue pour prix de ses forfaits. Tu avais bien raison de dire au Comité que Fortet était rusé, car nous avons eu de la peine à le faire tomber sous le glaive de la loi. je te fais passer les arrêtés relatifs à l’affaire de Fortet ; je voudrais tenir sous ma main tous les conspirateurs de notre département, je ne leur ferais pas plus de grâce qu’à tous ceux que j’ai fait expédier pour l’autre monde. Ecoute, mon cher collègue, il faut que tu envoies au Cantal une barque révolutionnaire pour purger notre cher pays natal (7)  , ou bien que tu obtiennes du comité de Salut public un arrêté ou une lettre pour Soubrany (8)  et pour moi afin de tout épurer dans nos montagnes. Je t’assure que cette mesure est indispensable. L’intrigue et l’ignorance perdrontnotre département si nous, qui connaissons les localités, ne guérissons pas le mal jusque dans sa dernière racine.
On n’a dernièrement condamné qu’à trois années de fer une femme, ex-religieuse et parente du scélérat Bouillé, malgré les correspondances criminelles et les signes fanatiques de la Vendée qu’on a trouvé chez elle (9) .
La duchesse Fontanges et beaucoup de parents aristocrates d’émigrés lèvent encore la tête dans le Cantal. Les ex-législateurs et royalistes ont été relâchés ou épargnés pour de l’argent.
Je t’en conjure au nom des républicains de Cantal et au nom de la patrie, vole au Cantal ou fais moi passer la lettre que je tedemande. Soubrany et moi lancerons des Pyrénées la foudre révolutionnaire qui pulvérisera tous les ennemis du peuple dans cette partie intéressante de la République. Tout à toi et à l’égalité. Ton frère et ami. »

Conclusion

Carrier apparait comme un modèle, celui d’un ultra que rien ne peut arrêter pour la cause révolutionnaire. « Le 3 ventôse (21 février) Carrier prononce aux Jacobins et à la Convention un discours résumant ses activités à Nantes… Il affirme que cette guerre touche à sa fin grâce à l’extermination en masse des rebelles. On
applaudit à son allocution et sa sincérité, son courage et son patriotisme sont largement vantés. Le 1er prairial (20 mai), Carrier est nommé secrétaire de la Convention et à ce titre, il est chargé de la seconde lecture de la loi de prairial, qui renouvelle le tribunal révolutionnaire (10) . » « Il n’est pas interrogé sur les pratiques nantaises qui auraient provoqué son rappel.
Cette même indulgence peut-être évoquée pour comprendre comment Carrier échappe en germinal à l’élimination des hébertistes (11) . »
Carrier est un révolutionnaire qui compte dans cette période d’affrontement politique intense. Ses méthodes ne sont pas remises en cause par la
Convention, et Milhaud peut le prendre pour modèle dans la lutte « révolution contre-révolution. » Pourquoi ne ferait-on pas la même chose dans le Cantal ? La
République est en guerre et ses ennemis ne sont-ils pas aussi cruels ?
Après le 9 thermidor, Carrier, les Montagnards et Jacobins deviennent infréquentables pour une partie des complotistes que l’on appellera Thermidorien.
Mais de thermidor au procès de Carrier, rien ne laisse à penser que l’après Robespierre ne sera pas comme l’avant, après tout on a assister à l’élimination d’une
faction, rien de plus ! La Révolution se poursuit pour beaucoup sans réel changement du moins en apparence. « Après le 9 thermidor, Carrier demeure un représentant du
peuple en plein exercice de sa charge ; un conventionnel très actif : il attaque notamment Tallien en exigeant qu’il s’explique sur la conspiration qu’il aurait fomentée le 10 thermidor ;
il propose de faire expulser de Paris tous les muscadins ; il demande la déportation de tous les aristocrates etc… un Jacobin tant qui gagne en importance et joue un rôle de premier plan dans la Société épurée.
Il se distingue, notamment, par son extrémisme et ses prises de positions tranchées : il propose l’exclusion de Tallien, Fréron et Lecointre de la Société, il dénonce le système demodérantisme qui se met en place, il appelle la Société à se rendre en masse à la Convention pour l’aider à écraser l’aristocratie, il proteste contre les calomnies dontles Jacobins sont l’objet, et les exhorte à se réunir pour combattre leurs ennemis …(12) »
Il est un Montagnard et Jacobin avancé. « Son nom se retrouve partout… on discutesans cesse de lui… Carrier est donc au coeur des conflits et des manoeuvres politique,
il polarise les passion (13) ». Par le procès de Carrier, « la Convention semblait vouloir d’une pierre, faire plusieurs coups : condamner le représentant en mission Carrier
pour les crimes nantais ; porter un coup à la Société en poursuivant le Jacobin Carrier;  se laver, enfin, de toute responsabilité dans la Terreur – donc éviter un procès à la
Révolution- en amputant sa représentation d’un conventionnel érigé en symbole de la Terreur (14) . » En effet, « invérifiables et manifestement inventées pour le procès,
nombre d’accusations terrifient le pays et sont à l’origine de légendes… » Carrier estac cusé, comme Robespierre, d’avoir voulu « dépopuler »la Vendée par Babeuf qui est
soutenu par Fouché ! « Après thermidor, ce sont les actes en eux-même, non les intentions, qui sont pris en considération  (15)». « Toute tentative ultérieure pour garantir 15
l’élan révolutionnaire va être hypothéquée par cette condamnation, qui profite indiscutablement à une élite révolutionnaire (16) ».
Carrier est guillotiné le 16 décembre 1794, il était devenu le symbole du pire depuis Thermidor, la légende noire s’installe jusqu’à aujourd’hui. Milhaud fit cette
observation lors du procès de Carrier :
« L’homme obscur qui aurait toujours vécu dans ses foyers au sein de sa famille vertueuse, aurait pu terminer ses jours paisibles en bon citoyens ; mais
souvent arraché à sa modeste obscurité et revêtu d’une grande autorité, il se trouve entraîné, emporté par le torrent révolutionnaire et des mesures ultra-révolutionnaire ».
« Dans l’immédiat après-thermidor, Carrier est donc le seul représentant en mission envoyé en France qui paie de sa vie des actes répressifs qui ne sont pourtant
pas très éloignés de ceux commis par Tallien à Bordeaux ou par Fouché à Lyon ou dans la Nièvre. Or ces derniers, par exemple, sont en passe de se refaire une virginité
politique à la fin de l’année 1794. Les enjeux politiques ont trouvé en Carrier un coupable idéal, par la nature des crimes commis, mais aussi par lieu concerné car la
Vendée est à la fin de l’année 1794, le lieu d’une pacification jusqu’ici jamais envisagée (17) ».

Bernard Vandeplas

Notes

1 Actes de la table ronde Jean-Baptiste Carrier, Aurillac, 30 mai 1987. L’entourage de Jean Baptiste Carrier : pour un recentrage du « Monstre Carrier », par Abel Poitrineau p. 333.
2 Ibidem pp 333-334.
3 Ibidem, p. 334.
4 Jean-Baptiste Lacoste est le troisième Représentants du Cantal, Montagnard comme Carrier et5 Milhaud. Jean-Baptiste. Lacoste a été élu à Mauria élu député suppléant à la Convention en 1792, il siégea en remplacement de Pierre Mailhes, démissionnaire le 9 octobre 1793. Il est également Montagnard, son frère Dominique Mirande est l’Agent national du district de Mauriac, également Montagnard.
6 Fortet d’une famille d’Aurillac, il fut condamné à mort le 9 mars 1794, voir le Moniteur universel du 4 germinal an II.
7 Milhaud pense à la Jordanne, une rivière passant à Aurillac.
8 Soubrany, représentant du peuple à la Convention, député du Puy-de-Dôme, il sera un des derniers Montagnards en 1795.
9 Apparenté à la famille Bouillé , le Bouillé qui avait durement réprimé la révolte du régiment de Châteauvieux, à Nancy, et avait participé au projet de fuite du roi.
10 Geste, 2004.
11 Ibidem.
12 Bronislaw Baczko, « Comment sortir de la Terreur : Thermidor et la Révolution », édition N.R.F. Paris, 1989.
13 Ibidem, p. 230.
14 p. 231.
15 Ibidem, p. 243.
16 Corinne Gomez-Le-Chevanton, op. cit., p.49.